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LA PHILOSOPHIE CHEZ GERMINA

Rendre la philosophie populaire.

Le chagrin et la pitié

  

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   Dans Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (1969), diverses figures de la vie de Clermont-Ferrand sous l’occupation sont soumises à l’œil de la caméra et interviewées.  Le film donne une impression pénible qui tient au choix du réalisateur. Aucun commentaire d’ensemble, pas de discours historique. Par contre, droit absolu au témoignage. Inévitablement, l’opération tourne à l’autojustification, qui prend elle-même la tournure d’une autosatisfaction.

   Il y a quand même des exceptions. Les frères Grave, agriculteurs, résistants, déportés à Buchenwald, sont de belles figures. Le fond d’humanité, d’où ils témoignent, les exempt du pénible besoin d’autosatisfaction. Le témoignage de l’ancien SS français de la division Charlemagne, Christian de la Mazière est, lui, insoutenable. Le principe de son autojustification est difficile à saisir (car il se montre plutôt critique envers ses engagements de jeunesse), mais on le sent à la pointe de son autosatisfaction manifeste. On en retire l’impression qu’il est devenu nazi par jouissance d’être ce qu’il était. C’est du plus terrible en matière de justification de l’inhumain : on expose complaisamment les cheminements de pensée, les circonstances qui ont fait franchir le pas de la barbarie. On présente son engagement comme le déroulement d’un destin.

   Pourtant, un témoignage fait sursauter. C’est celui du commerçant Marius Klein. Au moment où Vichy promulguait les lois contre les juifs, il avait glissé, dans le journal local Le Moniteur, une annonce où il avertissait sa clientèle qu’il n’était pas juif (comme son nom pouvait le faire penser). Surpris par la caméra, près de trente ans après les faits, il tente lui aussi de se justifier. Mais sa justification ne peut être de même nature que celle des autres acteurs de cette chronique. Il n’a pas à assumer un acte de grande infamie, il ne peut évidemment pas se tresser des lauriers non plus. Il doit simplement assumer un acte de petitesse, de petite lâcheté. Lui qui n’était pas juif, il a tenu, en 1941, à faire savoir qu’il ne l’était pas, pour éviter les persécutions.

   Dans un entretien récent, Marcel Ophuls tient absolument à en faire le représentant d’une « forme d'antisémitisme tout à fait ordinaire, et finalement plus menaçante que les déclarations de Marine Le Pen, de son père, de sa nièce ». Or c’est là un aveuglement, lui-même né d’une autosatisfaction typique de l’intellectuel d’aujourd’hui. Marius Klein, voilà l’ennemi véritable, voilà la vraie menace. Le boutiquier de Clermont Ferrand qui a tremblé pour son commerce et, avec ses petits moyens (une annonce dans un journal local qui serait passée inaperçue sans la caméra de Marcel Ophuls), a tenté de parer au danger. Oui, ce n’est pas glorieux. Mais ce n’est pas, non plus, terrifiant. C’est simplement la lâcheté ordinaire, banale. Or que se passe-t-il ? C’est bien lui qui recueille l’infamie dans ce document de plus de quatre heures. Les autres acteurs de l’époque ont, eux, l’occasion inespérée de sculpter leur propre statue.  

   Le chagrin et la pitié utilise aussi quelques documents filmés de l’époque. Je voudrais attirer l’attention sur un d’entre eux. Si l’on a le DVD, je conseille de le visionner attentivement, et de faire un ou deux arrêts sur image. Ce sont quelques rushes d’une scène de femmes tondues. J’aurais aimé trouver sur le net une image de cette scène. A défaut, je montre celle-ci, qui sera parlante à sa façon.

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   Dans les images du film, on voit une sorte de podium dressé dans un lieu public. Trois femmes se font tondre sous les lazzis de la foule. Un personnage retient particulièrement l’attention. C’est un type qui a sauté sur le podium. Il paraît accoutré en FFI. Il n’a pas d’arme cependant. D’une manière un peu grotesque, des jumelles pendent à son cou. Elles paraissent être le seul insigne de sa fonction. Sans doute a-t-il joué un rôle non négligeable dans les derniers combats contre le nazisme, puisqu’il a des jumelles à son cou. Que fait-il en ce lieu, où l’on voit un coiffeur tondre très professionnellement trois malheureuses pour la plus grande joie des assistants ? Il fait le pitre. Cela devait être très important pour lui de faire des pitreries, à ce moment-là.

   Je suis resté longtemps à méditer sur ce personnage. Je n’arrivais pas à me détacher de lui. Je sentais qu’il fallait en dire quelque chose. Il aurait eu le droit de passer lui aussi à l’histoire, au même titre que le boutiquier qui n’était pas juif et tenait à le faire savoir. Hélas, nul réalisateur de documentaire pour la télévision n’a cherché à retrouver sa trace. Le témoignage qu’il aurait pu apporter, dans cette chronique d’une ville française sous l’occupation, n’existe nulle part. Et voilà finalement ce que je cherchais à penser mais n’arrivais pas à formuler : c’est bien ce témoignage qui manque. Cette horreur-là, il aurait fallu en écouter l’autojustification.                                

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