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LA PHILOSOPHIE CHEZ GERMINA

Rendre la philosophie populaire.

Le miracle de la naissance

 

  Chaque étape nouvelle du monde est une avancée et, à la limite, chaque jour, dans son actualité, en est une aussi. Chaque jour, les humains bondissent en avant, à leur réveil, pour assurer leur vie, pour entretenir le monde, pour le construire, le reconstruire ou le repenser. Ce dynamisme du moment du réveil, après chaque nuit, me paraît être un caractère essentiel des êtres humains.

   Je voudrais en cette occasion proposer une hypothèse concernant la causalité humaine (j'entends par cette expression la cause qui nous fait agir spécifiquement comme des êtres humains, et non seulement comme des machines organiques mues par des pulsions). La cause qui nous pousse en avant est perpétuellement un réveil, ce qui revient à dire que nous ne disposons pas d'une continuité d'être efficiente par elle-même, il nous faut sans cesse jaillir vers l'avant ne serait-ce que pour être ce que nous sommes déjà.

   Il va de soi que pour progresser, pour manifester et réaliser de nouveaux possibles, ce jaillissement est le facteur efficient, et bien le seul.

   Où s'agit-il d'en venir ? L'humanité ne peut avancer qu'à l'aveugle, c'est-à-dire par coups de dés innombrables, par des lancers, des sursauts à l'infini. Ces mouvements sont la plupart du temps surprenants, parce que, bien que procédant en certaine part du passé, ils ne pourront jamais être positivement déterminés par le passé. Ils sont déterminés par un accès d'énergie provenant de l'avenir.

   Cette provenance depuis l'avenir peut paraître obscure a priori, mais je ne crois pas qu'elle le soit vraiment. De fait, nous agissons comme des êtres qui seraient à venir, qui n'ont pas encore vu exactement le jour, ou qui seraient en train de naître.

   Cette étonnante causalité à laquelle est soumise l'humanité peut être retrouvée dans les infimes événements d'une vie particulière, mais peut aussi s'entrevoir, avec une vue globale, dans la perpétuelle arrivée de nouveaux humains. Ce phénomène de la naissance continue de nouvelles personnes est la manière spectaculaire de voir à l'œuvre la causalité humaine. L'humanité avance par les nouvelles naissances, comme si celles-ci étaient ses sursauts en avant.

   Hannah Arendt, dans la Condition de l’homme moderne, parle du « miracle de la natalité », précisant : « Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine […], c’est le fait de la natalité. » Le fait que des humains arrivent perpétuellement apparaît d'ailleurs à ce point porteur d'espoir, que Hannah Arendt fait de la naissance « la catégorie centrale de la pensée politique ».

   Cette hypothèse d'une causalité humaine propre telle que nous l'avons esquissée, sonne, si on la prend au sérieux, comme une fin de beaucoup d'illusions dans lesquelles on se complaît.

   On croit volontiers, par exemple, que le monde d'aujourd'hui prolonge de manière évidente le monde d'hier. Or cela ne peut être le cas. Il faudra attendre après-demain pour que soit éventuellement pensable un lien de continuité entre hier et aujourd'hui. Avant cela, il y aura d'abord à vivre demain, c'est-à-dire le jour même qui est en route, dès aujourd'hui, mais d'une manière telle qu'il pourra aussi bien être une sortie de route.

   Bref, cette idée d'une « continuité » évidente ou objective des faits humains, cette idée d'un fil que l'on pourrait suivre est une illusion qui tient à l'oubli de l'action humaine. L'action des humains est toujours tournée, sans pouvoir faire autrement, vers ce qui est en train de venir, va arriver. De ce point de vue, d'ailleurs, l'arrivée incessante de nouvelles générations transforme incessamment le monde en un sens que l'on n'aurait jamais pu prévoir.

   On entretient aussi l'illusion qu'il y aurait quelque ordonnance sacrée du monde, des croyances, des valeurs, des œuvres, du sens, qu'il faudrait, comme par devoir, perpétuer. C'est l'aliment de tous les conservateurs et nostalgiques, les Zemmour et Finkielkraut, et tant d'autres, ceux qui auraient envie, pour ne s'arrêter qu'à cela, de défendre « une certaine idée de la France ».

   Le seul problème est que cette idée ne peut tout simplement pas avoir de portée, car la France est soumise à l'arrivée massive de nouveaux Français, lesquels évidemment changent la France et peuvent même donner cette impression (précipitée, superficielle) qu'ils la rendent méconnaissable.

   Oui, les Français seront massivement remplacés, non point d'abord par l'arrivée des migrants (théorie du « grand remplacement » de Renaud Camus), mais tout simplement par l'afflux massif des nouveaux-nés.

   Ceci dit, je crois qu'il faut verser au miracle de la naissance dont parle Hannah Arendt, le miracle qui fait que débarquent sur nos côtes et à nos frontières des gens qui veulent être Français. Je ne crois pas, comme certains, que la France court un quelconque danger en s'enrichissant de nouveaux êtres, et cela, évidemment, en quelque sens que ce soit.

   D'ailleurs, la France ne peut être défigurée, ni rendue méconnaissable parce qu'elle évolue en profondeur dans sa population ou dans la variété des êtres qui la défendent. Et, de toute façon, si cela était le cas, il faut attendre après-demain pour en juger.

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